2017

  • spectacle vivant

2017

Bruno Geslin, Chroma 

Chroma est au départ un livre, ouvrage ultime, écrit par le cinéaste anglais Derek Jarman, rongé par le Sida, perdant peu à peu la vue. Bruno Geslin s’en saisit pour signer, comme il aime le faire, un portrait introspectif et amoureux. Un sujet susceptible de provoquer instinctivement la réticence du public… Pourtant, les spectateurs, curieux puis conquis, garderont longtemps une « persistance rétinienne »* de cette ode à la vie et à la couleur, incroyable spectacle d’art total.  

Homme de l’image, metteur en scène singulier, Bruno Geslin est fasciné par les figures fortes. Il rôde du côté de l’auteur allemand Rainer Werner Fassbinder, de l’érotomane Pierre Molinier, du poète Joë Bousquet, ou du dramaturge élisabéthain Christopher Marlowe. Pour Chroma, Geslin s’inspire de la dernière œuvre de Derek Jarman, qu’il appelait lui-même une « autobiographie par la couleur ». Dans un flux continu de visions oniriques, le metteur en scène parcourt ce poème théâtral et musical où se mêlent avec délicatesse et sans pathos souvenirs de jeunesse, le long des blanches falaises du Kent, ou dans les quartiers rouges de Londres, expériences artistiques, journal d’hôpital… Bruno Geslin en retire une matière saisissante à l’élégance empreinte d’un humour british. Faisceaux de rouge, de vert, de bleu, de jaune, vidéos projetées sur le mur, la salle est une boîte noire qui s’anime sous l’effet de vibrations tactiles et charnelles. 

Bruno Geslin avait surpris le public du Parvis dès ses premiers spectacles en 2008 : Mes jambes, si vous saviez quelle fumée et Je porte malheur aux femmes mais je ne porte pas bonheur aux chiens, avec Denis Lavant. Puis en mai de l’année suivante avec Crash(s) Variations présenté en drive-in dans le hangar 117 de l’Arsenal à Tarbes. Plus récemment, il a présenté Le feu, la fumée, le soufre, d’après le Richard II de Christopher Marlowe. 

Chroma est sans doute l’un des spectacles les plus réussis de Bruno Geslin. Une forme hybride qui touche, avec beaucoup d’honnêteté, du fragile, du vrai, parfois même de l’indicible ; qui pourrait laisser les spectateurs perplexes. A l’issue de la représentation pourtant, le public est debout. Et notamment les jeunes lycéens dont la réaction et l’ovation est immédiate. Une ode à la vie et du spectacle diablement vivant… 

*Expression utilisée par Hervé Pons dans Les Inrocks dans sa critique du spectacle en janvier 2019.