Dans l’Allemagne conservatrice du XVIIIe siècle, Geesche, issue de la petite bourgeoisie, n’a aucune liberté. Brutalisée par son mari, sans cesse dévalorisée, sa vie semble toute tracée à la place qui, en tant que femme, lui a été assignée dès sa naissance. Alors, quand la mort frappe étrangement ses oppresseurs, s’agit-il vraiment d’une « malédiction » ? Cédric Gourmelon met en scène cette pièce explosive et irrespectueuse de Fassbinder qui bouscule les codes de la représentation et interroge les fondements de notre société et de sa morale.
Fassbinder écrit Liberté à Brême en s’inspirant d’un fait divers. Une femme semble être victime d’une étrange malédiction qui frappe de mort tous ses proches. Devenue une figure locale, surnommée « l’Ange de Brême », Geesche trouve toujours la force d’accompagner ces gens dans la mort, d’être à leur chevet, dévouée jusqu’à la fin. Quand on découvre qu’elle les a tous empoisonnés, il y a contre elle un tel sentiment de haine qu’elle est exécutée en place publique. Il reste, à Brême, à l’endroit de son exécution devant la cathédrale Saint-Pierre, un carré incrusté dans le sol, sur lequel les gens avaient coutume de cracher. C’est le point de départ de Fassbinder. Mais ce qui l’intéresse n’est évidemment pas d’écrire une « pièce d’époque », mais d’interroger, avec ironie, ce que « liberté » veut dire, de tout temps. Il écrit cette pièce pour bousculer les codes d’une société d’apparence paisible mais qui porte en elle tous les germes du « fascisme ordinaire », dans ce qu’elle comporte d’interdiction, de hiérarchie, d’oppression, sous couvert de « moralité ». Aujourd’hui, cette oeuvre majeure de Fassbinder prend de tous autres accents, baignés que nous sommes par la vague #MeToo, les dénonciations d’abus sexuels et de violences faites aux femmes. Le combat de Geesche a beau s’abîmer dans une folie meurtrière qui lui donne le vertige, c’est la figure libératrice qui domine. Cédric Gourmelon met en scène cette pièce incandescente de manière magistrale et, sous sa direction, la grande actrice Valérie Dréville est exceptionnelle.
TARIF B